Loups solitaires by Chesbro George

Auteur:Chesbro, George [George, Chesbro]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles
Éditeur: Au Diable Vauvert
Publié: 2015-07-08T16:00:00+00:00

2

Tombeau

D’une façon ou d’une autre, il devait trouver le moyen de procéder différemment des autres, promptement et aussi souvent que possible, si irrationnelles que pussent lui paraître ces alternatives, faute de quoi il mourrait aussi sûrement qu’eux ; et sur le moment, le seul expédient qui lui vint à l’esprit – et que n’avaient certainement pas employé les spéléologues amateurs ou professionnels ni les Rangers durant leur descente du mur de glace – fut de couper la puissante lanterne de son casque. Il fut instantanément plongé dans des ténèbres absolues, presque palpables, et se sentit brusquement si seul que sa situation lui rappela (assez paradoxalement) le chatoiement scintillant de la surface du glacier qui s’étendait à présent sous ses yeux et le chaos, tant matériel que spirituel, qui l’avait accueilli la veille, à son arrivée sur le site, lorsqu’il avait garé sa moto-neige de location à la lisière d’un « parking » improvisé, bondé de véhicules du même modèle, de traîneaux à chiens, de skis de fond et d’après-skis, avant d’escalader la face du glacier, d’un blanc polaire aux reflets émeraude, par ses marches grossièrement taillées dans la glace.

Arrivé au sommet, il avait chaussé ses lunettes de soleil et scruté les environs ; toute la zone était jonchée de détritus : WC portatifs, tentes à deux places multicolores, rustiques croix de bois montées sur trépied, flaques d’urine et virgules de merde, appentis improvisés, trois igloos et même un dôme géodésique préfabriqué, en aluminium, sans doute dressé par les cinq hommes de l’équipe de Rangers portés manquants, disparus une semaine plus tôt dans cette caverne qui, pour l’heure, avait déjà englouti dix-sept vies.

Après avoir déambulé trois bons quarts d’heure autour du campement, en jetant de temps à autre un coup d’œil dans les sacs de couchage, il n’avait pas retrouvé le garçon, ce qui l’avait autant surpris que dépité, mais il avait en revanche trouvé Dylan Parker. Le grand type à la chevelure blanche embroussaillée, aux yeux bleus perçants et au regard halluciné, se tenait à la tête d’un petit groupe de ses fidèles et fixait, hypnotisé, l’entrée de la caverne : antre secret vieux de dizaines, voire de centaines de milliers d’années, enfin révélé, pouce par pouce, par l’interminable et antédiluvien chuchotis d’un glacier en recul. L’ouverture dans la roche – juste le sommet de la bouche d’une caverne bloquée par les glaces et estimée à deux cents mètres de haut –, n’était longue que de vingt-cinq mètres et devait faire tout au plus soixante centimètres de large à son point le plus élevé ; aussi noire qu’une tache d’encre de Chine éclaboussant la façade rocheuse d’un marron terne, elle évoquait la canine d’un dieu gigantesque, saillant de la gencive bleuâtre de sa couche de glace.

Comme s’il avait senti la présence de Brendan, Dylan Parker avait brusquement pivoté sur lui-même et ses yeux au regard légèrement maniaque, même en période d’accalmie, avaient soudain lui d’excitation. Il avait rejeté la tête en arrière, tel un homme plongé dans les transes de l’extase, et hurlé :

— Prêtre !

— Salut, Dylan, avait répondu Brendan.

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